CRCF, vers un Standard de Référence pour l’Élimination du Carbone ?

Le pacte vert européen (Green Deal) est un vaste réseau de législations de l’Union Européenne qui aborde tous les aspects de la transition écologique, touchant des secteurs essentiels comme l’énergie, le transport, l’industrie et la gestion des forêts. Présenté par la précédente Commission Européenne (2019-2024), ce plan ambitieux reconnaît que pour atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050, il ne suffira pas seulement de réduire les émissions, mais il faudra également miser sur des technologies d’élimination du dioxyde de carbone (EDC) afin de compenser nos émissions résiduelles. 

Dans ce cadre, l’UE intègre progressivement l’EDC dans ses législations actuelles. Un pilier central de cette intégration est le Cadre réglementaire pour la certification du carbone (CRCF), qui ambitionne de devenir la base de toutes les régulations futures sur l’EDC. Ce cadre vise à clarifier ce qui constitue l’EDC, à établir des critères pour identifier les pratiques d’élimination de haute qualité, et à garantir la fiabilité et la transparence des projets à l’échelle européenne. 

Approuvé en trilogue le 19 février 2024, c’est une avancée majeure visant à promouvoir la certification l’EDC permanente, le stockage du carbone dans les produits ainsi que le « carbon farming » (pratiques agricoles améliorant le stockage de carbone, ajout tardif qui lui vaudra un changement de nom en Carbon Removals and Carbon Farming régulation). Le CRCF s’impose ainsi comme le socle à partir duquel toutes les politiques de l’UE autour de l’EDC seront construites.

Objectifs du CRCF

Le CRCF a pour objectif principal de favoriser l’adoption de méthodes d’EDC fiables et de haute qualité. Un aspect central de ce cadre est la manière dont il définit la permanence du stockage du carbone (i.e. qu’une fois une tonne de CO2 stockée, elle ne soit pas ré-émise à long terme). Auparavant, il n’existait pas de distinction claire entre les crédits carbone issus de solutions à court terme (comme le stockage temporaire dans les forêts ou le sol) et ceux liés à un stockage à long terme (par exemple, le BECCS ou DACCS avec stockage géologique qui peut durer plusieurs milliers d’années). Ce manque de différenciation a été l’un des principaux facteurs à l’origine de la création de cette réglementation.

En plus de la permanence du stockage, un autre objectif crucial du CRCF est d’améliorer la traçabilité et la transparence des crédits carbone tout au long de leur cycle de vie, de la capture du CO2 à son stockage final. Cela inclut des protocoles rigoureux de mesure, de reporting et de vérification (MRV) afin de garantir que les crédits reflètent des réductions réelles, additionnelles et mesurables des émissions de CO2.

Enfin, une autre ambition du CRCF est de faciliter l’harmonisation des marchés du carbone, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale. L’objectif à terme pourra être d’assurer une meilleure interopérabilité des systèmes de crédits carbone entre les différents pays (Comme le EU ETS ou le Swiss ETS), tout en maintenant des normes de qualité élevées. Cette harmonisation permettrait d’accroître la liquidité du marché tout en préservant l’intégrité environnementale des crédits.

Catégories d’élimination du dioxyde de carbone certifiables

Le CRCF définit et différencie trois grandes catégories :

  • L’EDC permanente : Des pratiques qui capturent et stockent le carbone atmosphérique ou biogénique (issu de matières organiques) pour plusieurs siècles.
  • Le stockage de carbone dans les produits : Des pratiques capturant et stockant le carbone dans des produits durables pendant au moins 35 ans, avec une surveillance continue pendant la période de certification.
  • Le « carbon farming » : Toute pratique relative à la gestion des terres ou des zones côtières, sur une période d’au moins cinq ans, capturant et stockant temporairement du carbone dans les sols ou réduisant les émissions des sols.

Ces trois catégories établies par le CRCF permettent de distinguer clairement les solutions permanentes des solutions temporaires, et ainsi d’attribuer des échelles de temps différentes à chaque méthode de gestion du carbone. Cela est particulièrement important pour intégrer des technologies comme le biochar ou l’altération forcée des roches, qui stockent le carbone pour plusieurs siècles, et qui peuvent ainsi être classés dans les technologies d’EDC permanentes. 

Ces distinctions permettent une diversité technologique dans le CRCF, seule capable de permettre un développement de l’EDC. Le CRCF introduira des méthodologies spécifiques pour certifier une large gamme de pratiques d’élimination de carbone. La Commission européenne, assistée d’un groupe d’experts, sera responsable de développer ces méthodologies, qui couvriront diverses technologies telles que la capture directe de l’air avec stockage (DACCS), la bioénergie avec capture et stockage de carbone (BECCS), ou le biochar. Des systèmes de certification existants seront également pris en compte afin de garantir que les activités respectent les critères du CRCF. Afin d’assurer la fiabilité de ces différentes catégories, le CRCF impose des critères stricts pour leur certification.

Critères de certification d’EDC de qualité

Le CRCF impose une quantification précise des EDC, basée sur les critères de qualité QU.A.L.ITY (QUantification, Additionality, Long-term Storage, and SustainabilITY) pour garantir que les projets d’EDC apportent des bénéfices réels et mesurables:

  • Quantification : La mesure précise des éliminations de carbone est essentielle pour garantir que les crédits représentent des réductions réelles. La quantification doit prendre en compte les incertitudes, et être compatible avec les inventaires nationaux d’émissions de gaz à effet de serre (Outils nationaux de comptabilité du carbone).
  • Additionnalité : Les éliminations de carbone doivent être attribuées directement aux incitations créées par le cadre de certification. Cela signifie que sans ces incitations, ces réductions n’auraient pas eu lieu.
  • Stockage à long terme : Pour éviter les ré-émissions de carbone, les projets doivent garantir un stockage du carbone sur plusieurs décennies, voire plusieurs siècles, notamment pour les solutions agricoles et naturelles où le risque de réversion est élevé.
  • Durabilité : Les activités doivent respecter des objectifs environnementaux et sociaux plus larges, tels que la biodiversité et le bien-être communautaire. Elles doivent éviter tout impact négatif sur l’environnement (par exemple la protection de la biodiversité, centrale pour l’utilisation d’EDC basée sur la biomasse).

Intégration du CRCF dans le Green Deal européen

Le CRCF était la pièce manquante nécessaire pour intégrer de manière fluide l’EDC dans un large éventail de politiques climatiques européennes et a été conçu pour fonctionner de concert avec d’autres instruments de l’UE. En définissant des standards robustes de certification, de surveillance et de vérification, le CRCF assure la crédibilité et l’efficacité des projets d’élimination de carbone, ouvrant ainsi la voie à leur intégration dans toutes les strates du Green Deal européen.

  • Directive sur les Allégations Vertes (Green Claims) : Cette directive, en cours de négociation, encadre la manière dont les entreprises communiquent sur leurs actions climatiques, notamment leur neutralité. Elle reconnaît le CRCF pour permettre aux entreprises de revendiquer des crédits de carbone qui seront certifiés par ce cadre. De plus, une autre régulation sur la publication d’informations en matière de durabilité, la CSRD, impose aux entreprises de déclarer séparément leurs émissions de gaz à effet de serre et les crédits carbone qu’elles utilisent pour compenser ces émissions, tout en précisant la qualité et la source de ces crédits. Le CRCF, en fournissant un cadre de certification pour les crédits d’élimination du carbone, garantit que les crédits utilisés respectent des normes strictes de transparence et de crédibilité. 
  • La Stratégie de gestion du carbone industriel (ICMS): L’ICMS de la Commission européenne définit le rôle des technologies de gestion du carbone, dont certaines méthodes d’élimination de CO2, dans la décarbonation de l’UE. Elle propose des mesures pour les développer. En effet, l’ICMS prévoit que 280 MtCO2 d’ici 2040 et 450 MtCO2 d’ici 2050 devront être capturées à l’échelle européenne Le préambule du CRCF fait explicitement référence aux actions de soutien à l’EDC prévues dans l’ICMS et souligne l’importance de définir des cibles spécifiques, dépassant ainsi les communications sur les objectifs 2040 en définissant le rôle central des EDC dans l’atteinte de la neutralité carbone.
  • Objectifs 2040 : Les objectifs climatiques de l’UE pour 2040 incluent la nécessité d’établir des cibles distinctes pour l’élimination permanente du carbone. Cette distinction est rendue possible grâce à l’existence d’un cadre européen clair.

Potentiel de l’intégration des EDC dans le marché carbone européen (ETS)

L’un des impacts les plus significatifs du CRCF réside dans son rôle potentiel pour faciliter l’intégration des EDC dans le Système d’échange de quotas d’émission (ETS) de l’UE. Le marché ETS, établi en 2005, est l’un des plus grands marchés de quotas de carbone au monde qui couvre environ 40 % des émissions européennes. Il oblige les entreprises à acheter des crédits pour leurs émissions de CO₂, favorisant ainsi une réduction progressive des émissions. De nombreux scénarios d’intégration de l’EDC dans les ETS existent. Tous nécessitent une forme de certification solide pour garantir la pérennité du système.

Le CRCF pourrait permettre à l’ETS d’inclure des technologies d’EDC dans les années à venir. D’ici le 31 juillet 2026, la Commission européenne doit soumettre un rapport évaluant l’intégration potentielle des technologies d’émissions négatives (NETs) dans l’ETS. Cela inclura l’évaluation de la manière dont l’EDC peut être comptabilisée dans le cadre du marché sans compromettre les efforts de réduction d’émissions​ 

Le CRCF pourra permettre de garantir que seules des EDC de haute qualité puissent être échangées sur le marché ETS et sans le CRCF, l’intégration de l’EDC à l’ETS serait difficile et pourrait menacer l’intégrité de l’ETS.

Impact du CRCF sur les entreprises 

Le CRCF a un impact majeur pour les entreprises, qu’elles soient acheteuses ou fournisseurs de crédits carbone. Pour les acheteurs, le CRCF leur permet de garantir la qualité des crédits d’élimination de carbone qu’ils acquièrent grâce à un processus reconnu par les pouvoirs publics. Cette certification réduit les risques de réputation et de conformité, tout en offrant plus de transparence. Elle permet aux entreprises de s’engager dans des projets d’élimination de carbone avec confiance, sachant que les crédits certifiés par le CRCF respectent des normes élevées et sont suivis dans un registre public, ce qui simplifie la gestion et l’authenticité des crédits.

Du côté des vendeurs, le CRCF leur offre un avantage compétitif en distinguant clairement les crédits carbone de haute qualité, souvent plus chers, des solutions moins durables. Cela garantit que les projets d’élimination de carbone permanent, comme le biochar ou la capture directe de l’air, soient reconnus et valorisés à leur juste valeur. 

Mise en œuvre et avenir du CRCF

Après l’accord provisoire de février 2024, l’accent est désormais mis sur le développement des méthodologies nécessaires à l’opérationnalisation du CRCF. Les premières méthodologies pour le DACCS, le BECCS et le biochar devraient être disponibles d’ici la fin de l’année 2024, avec une finalisation prévue pour 2026. Les méthodologies pour d’autres technologies suivront. Le cadre devrait être pleinement opérationnel d’ici fin 2026 ou début 2027.

Le CRCF est donc bien plus qu’un simple cadre de certification : il constitue la base nécessaire à l’intégration des solutions d’élimination de carbone dans l’ensemble des politiques climatiques de l’UE. En facilitant l’adoption d’EDC de haute qualité, en définissant des cibles claires pour les éliminations permanentes et temporaires, et en fournissant un cadre solide pour l’intégration des EDC dans l’ETS, le CRCF garantit que l’élimination de carbone ne soit pas un effort isolé, mais un élément central de la stratégie climatique globale de l’UE. 

À terme, l’impact du CRCF sera déterminant pour atteindre les objectifs climatiques ambitieux de l’UE, notamment la neutralité carbone d’ici 2050. Ce cadre pourrait non seulement renforcer la confiance des entreprises et des investisseurs, mais aussi contribuer à faire de l’Europe un leader mondial dans la gestion des crédits d’élimination de carbone de haute qualité.

Et pour l’AFEN ? : Le rôle des acteurs français dans le développement du CRCF

L’AFEN (Association Française pour les Émissions Négatives) se positionne comme un acteur clé pour contribuer au succès du CRCF et à sa mise en œuvre dans les prochaines années. 

  • Représenter l’EDC à l’échelle nationale:  Alors que l’Union Européenne met en place le CRCF, le rôle de l’AFEN sera aussi d’assurer que la France contribue de manière significative à l’effort collectif tout en capitalisant sur ses propres forces. Notamment, l’AFEN devra s’engager à ce que la France adopte des objectifs clairs et ambitieux en matière d’EDC, alignés avec les cibles européennes. De plus, dans le futur développement des méthodologies du CRCF, l’AFEN participe à l’effort pour que les spécificités nationales soient prises en compte. Tous les pays de l’UE ne partagent pas les mêmes atouts pour le déploiement des technologies d’élimination du carbone. La France, par exemple, est le 5eme exportateur mondial de produits agricoles, un secteur majeur pour l’EDC et les solutions basées sur la biomasse (Biochar, BECCS, etc). L’AFEN pourra défendre ces avantages auprès des décideurs européens, garantissant que ces atouts nationaux soient intégrés dans les discussions et méthodologies à venir.
  • Préparer le terrain pour l’intégration des EDC dans l’ETS: À l’horizon 2026, l’intégration des technologies d’élimination du carbone (EDC) dans le Système d’échange de quotas d’émission (ETS) sera un sujet central pour l’UE. Grâce à la standardisation apportée par le CRCF, l’AFEN sera en première ligne pour participer aux discussions sur une intégration directe ou indirecte dans les ETS. 

Dans les prochaines années, les débats autour de l’EDC nécessiteront des voix fortes et crédibles. L’AFEN pourra mobiliser son expertise et celle de ses membres pour influencer les discussions au sein de la nouvelle Commission européenne et des autres institutions européennes. 

écrit par Raphaël Cario

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