Les cibles climatiques 2040 de l’Union Européenne 

Depuis l’Accord de Paris en 2015, l’Union Européenne (UE) s’est engagée à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Pour structurer cette ambition, elle a mis en place un cadre législatif évolutif, renforcé à plusieurs reprises. En février 2024, la Commission européenne a recommandé de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) de 90 % d’ici 2040 par rapport aux niveaux de 1990. Cette initiative s’inscrit dans la continuité des objectifs précédents à 2030 et l’atteinte de la neutralité climatique en 2050.

Le fait d’établir une cible pour 2040 explicite la nécessité de recourir à l’élimination du carbone (EDC) avant cette décennie. En séparant clairement les efforts de réduction et de suppression des émissions, cette proposition met en lumière le besoin d’une stratégie EDC à l’échelle européenne dès les années 2030. Structurer dès maintenant cette trajectoire est essentiel pour assurer que les technologies et les solutions d’EDC puissent être déployées à l’échelle requise afin d’atteindre les nouveaux objectifs climatiques.

Les objectifs climatiques de l’UE

L’Union européenne vise une transition écologique ambitieuse avec un objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 par rapport à 1990, selon la Loi européenne sur le climat de 2021. Cette législation établit un cadre contraignant et planifie progressivement les réductions d’émissions.

L’objectif final de 2050 est d’atteindre la neutralité climatique, équilibrant les émissions restantes avec des émissions négatives. Pour cela, l’UE doit réduire drastiquement ses émissions et développer des solutions d’Élimination du Dioxyde de Carbone (EDC) pour traiter les émissions résiduelles des secteurs difficiles à décarboner, comme l’industrie lourde et l’aviation (voir notre article sur le rôle de l’EDC dans les scénarios climatiques).

Pour combler l’écart entre 2030 et 2050 et éviter un ralentissement des efforts, la Commission européenne a proposé une cible intermédiaire de réduction nette de 90 % d’ici 2040. Cela établit un plancher d’émissions résiduelles à 850 MtCO₂e et un plafond d’élimination du carbone à 400 MtCO₂e. La Commission insiste sur un déploiement précoce des technologies d’EDC, de Captage et Stockage du Carbone (CCS), et d’Utilisation du Carbone (CCU). Ces solutions incluent des approches dites “industrielles “comme la bioénergie avec CCS (BECCS) et la capture directe de l’air avec CCS (DACCS), ainsi que des solutions dites “naturelles” comme le reboisement et la régénération des sols. La répartition des différentes méthodes n’est pas encore précisée mais certains scénarios prévoient une cible de 75Mt d’EDC dit “technologique”.

Ces objectifs ne sont pas encore juridiquement contraignants et doivent être intégrés dans le droit européen via une révision législative prévue pour 2025, impliquant des négociations entre les États membres et un vote au Parlement européen.

Pourquoi fixer des cibles intermédiaires ?

Une cible intermédiaire pour 2040 est cruciale pour éviter de reporter les efforts de décarbonation à la dernière décennie avant 2050. Les technologies de CCS nécessitent des décennies pour se développer. Sans une montée en puissance progressive, l’UE risque une surcharge après 2040, entraînant des pressions économiques, des coûts élevés et un potentiel non-respect des engagements climatiques.

Un risque majeur d’une approche de rattrapage post-2040 est l’overshoot climatique. Une étude récente dans Nature (2024) avertit des impacts irréversibles d’un dépassement temporaire des seuils de température, même s’il est compensé ultérieurement par des réductions d’émissions et l’EDC. Cela pourrait entraîner une montée irréversible du niveau des mers, une perte massive de biodiversité et des bouleversements écologiques irréparables, même en atteignant la neutralité carbone.

L’étude souligne aussi les incertitudes dans la réponse climatique aux dépassements temporaires. Des mécanismes de rétroaction, comme la fonte du pergélisol libérant du méthane, pourraient amplifier le réchauffement de manière incontrôlée. Compter sur des technologies d’EDC massives après 2040 pour compenser des excès d’émissions dans les années 2030 pourrait être risqué et inefficace.

Le déploiement à grande échelle de l’EDC après 2040 pose des défis techniques, économiques et environnementaux majeurs. L’EDC nécessite des investissements en infrastructures et de l’énergie, difficiles à structurer si leur mise en place est retardée. Un déploiement tardif pourrait entraîner des déséquilibres économiques, avec des coûts d’investissement et d’exploitation trop élevés pour être absorbés en une décennie.

Les cibles 2040 sont donc cruciales pour limiter le risque d’overshoot et assurer un développement progressif des technologies d’EDC. Elles permettent d’agir tôt sur la réduction des émissions, réduisant immédiatement le réchauffement climatique, tout en offrant le temps nécessaire pour développer des solutions d’EDC durables. Cette approche équilibrée garantit que l’UE ne mise pas uniquement sur des technologies futures, mais anticipe dès aujourd’hui la transition vers une économie bas-carbone.

Vers une stratégie européenne de gestion du carbone

Les cibles 2040 font partie d’une approche plus large de gestion du carbone, incluant les synergies avec les technologies de CCS. Ces technologies sont cruciales pour réduire les émissions résiduelles, mais il est important de différencier l’Élimination du Dioxyde de Carbone (EDC) du CCS et de l’Utilisation du Carbone (CCU). L’UE vise à encadrer ces approches par une stratégie industrielle cohérente, évitant ainsi la confusion entre stockage temporaire et permanent.

L’Industrial Carbon Management Strategy (ICMS) de l’UE soutient cette réforme des objectifs 2040 en structurant le développement des réseaux de transport et de stockage du CO₂ et en facilitant les synergies entre CCS et EDC. L’ICMS identifie plusieurs lacunes réglementaires freinant actuellement le déploiement des technologies d’élimination du carbone, notamment l’absence d’incitations financières claires, le manque de reconnaissance de l’EDC dans la législation actuelle, et le coût élevé des méthodes industrielles d’EDC.

La stratégie définit trois étapes clés pour le développement de la gestion du carbone industriel en Europe :

  1. D’ici 2030 : établir une capacité de stockage du CO₂ d’au moins 50 millions de tonnes par an, accompagnée d’un réseau de transport diversifié intégrant pipelines, transport maritime, ferroviaire et routier.
  1. À l’horizon 2040 : les principales chaînes de valeur régionales du carbone devraient atteindre une viabilité économique suffisante pour soutenir les objectifs climatiques de l’UE. Le CO₂ capté deviendrait alors une ressource commercialisable, aussi bien pour le stockage que pour des applications industrielles, avec jusqu’à un tiers du CO₂ capturé utilisé au sein du marché unique européen.
  1. Après 2040 : la gestion du carbone industriel devrait être pleinement intégrée au système économique européen. À ce stade, le carbone d’origine biogénique ou atmosphérique deviendrait la principale ressource pour la production industrielle et les carburants de synthèse, réduisant progressivement la dépendance aux sources fossiles.

La Commission envisage des mesures spécifiques pour soutenir l’Élimination du Dioxyde de Carbone (EDC), notamment des cadres réglementaires et des mécanismes de financement adaptés. Une option majeure est l’intégration de l’EDC dans le Système d’échange de quotas d’émissions de l’UE (ETS), créant ainsi des incitations économiques pour son déploiement. La Commission prévoit également de renforcer les investissements en recherche et développement de nouvelles technologies d’EDC via Horizon Europe et le Fonds d’innovation européen, visant à accélérer la maturation technologique et la viabilité économique des solutions d’EDC.

Actuellement, Horizon Europe finance principalement les technologies de CCS et l’EDC utilisant le CCS. Il est crucial d’élargir ces soutiens à toutes les formes d’EDC, y compris celles sans synergies directes avec le CCS, pour garantir une approche diversifiée.

L’UE a déjà posé les bases d’une stratégie complète d’EDC avec le Carbon Removals and Carbon Farming (CRCF), qui établit des méthodologies de certification pour assurer la transparence et l’intégrité environnementale des projets. Des discussions sont en cours sur l’intégration progressive de l’EDC dans l’ETS, à traiter lors de la révision de la directive en 2026.

Ces mesures doivent être consolidées par une stratégie européenne de l’EDC, définissant des objectifs chiffrés et des mécanismes de soutien pour chaque méthode. Bien que l’UE dispose d’outils comme l’ICMS, le CRCF, et le projet d’intégration à l’ETS, il manque encore une vision globale et une stratégie de développement à long terme. L’établissement de cibles précises pour 2040 et 2050 est essentiel pour structurer cette stratégie, garantissant une montée en puissance progressive et alignant les investissements publics et privés. Cela éviterait un déploiement tardif et désorganisé des solutions d’EDC, tout en renforçant la cohérence du cadre réglementaire européen.

La position de la France : un soutien conditionné à une stratégie industrielle ambitieuse

La France soutient la cible européenne de 90 % de réduction nette d’ici 2040, mais conditionne son approbation à une politique industrielle ambitieuse. Le 30 janvier 2025, Marc Ferracci, ministre français de l’Industrie et de l’Énergie, a déclaré :

« Nous souhaitons accélérer sur nos objectifs climatiques, mais cela suppose d’avoir une stratégie industrielle européenne vraiment ambitieuse. Si le pacte pour une industrie propre n’est pas à la hauteur, la France n’assumera pas l’objectif d’une réduction de 90 %. »

La France insiste sur une distinction stricte entre réduction des émissions et EDC, estimant que cette dernière ne doit pas servir de prétexte pour ralentir la décarbonation industrielle. Le marché doit se structurer également à l’échelle française. Avec ses atouts existants (biomasse abondante, stockage géologique, électricité décarbonée), la France pourrait devenir un leader européen, surtout si un besoin rapide de développement se crée.

Conclusion

Les cibles 2040 de l’UE pourraient être cruciales pour structurer la transition climatique et éviter les risques d’overshoot. Elles assurent un équilibre entre réduction des émissions et EDC, tout en anticipant les défis technologiques et économiques. La révision de l’ETS en 2026 sera déterminante pour garantir l’intégrité et l’efficacité de cette transition. La France cherche à concilier ambition climatique et compétitivité industrielle, nécessitant une véritable ambition industrielle pour l’EDC sur son territoire.

Dans ce contexte, l’AFEN joue un rôle important dans l’avancement de la position française sur l’EDC. En réunissant les acteurs industriels, institutionnels et scientifiques, elle contribue à structurer une vision nationale cohérente sur le développement des solutions d’élimination du carbone et leur intégration dans le cadre européen. Le travail de l’AFEN permet également de préciser les attentes françaises en matière de régulation et d’incitations économiques, afin de garantir que l’EDC soit bien utilisée en complément des réductions d’émissions, et non comme un substitut à celles-ci.

L’UE et ses États membres, y compris la France, peuvent atteindre leurs objectifs climatiques et renforcer leur leadership mondial dans la lutte contre le changement climatique. Une vision à long terme, soutenue par des investissements ciblés et une réglementation robuste, est essentielle pour assurer ces objectifs. Les cibles 2040 sont une étape clé pour réaliser la neutralité carbone d’ici 2050, tout en intégrant l’EDC dès maintenant.

écrit par Raphaël Cario

Actualités connexes

Retour sur les  Rencontres de l’Élimination du Dioxyde de Carbone 2024 : Façonner la position de la France en matière d’EDC

L’AFEN organise les Rencontres de l’Élimination du Carbone 2024

L’AFEN nomme Hugues d’Antin comme Délégué Général pour accélérer le développement d’une filière de l’Elimination du Carbone (EDC) ambitieuse et responsable en France