Le rôle de l’Élimination du Dioxyde de Carbone dans la neutralité carbone : Comment l’EDC s’intègre-t-elle dans les stratégies pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux?

écrit par Raphaël Cario

Introduction

Pour répondre à la crise climatique, l‘Accord de Paris, adopté en 2015, fixe des objectifs cruciaux pour limiter l’augmentation de la température mondiale en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, avec un objectif idéal de 1,5°C. Cependant, malgré plus de trois décennies d’alertes sur le réchauffement climatique, les efforts des États pour réduire les émissions de CO2 n’ont commencé à s’intensifier que récemment. Le temps presse et la fenêtre pour agir se raccourcit dramatiquement. Ratifié par l’Union Européenne (UE) et ses États membres en 2016, l’Accord de Paris est le premier accord juridiquement contraignant sur le changement climatique à portée universelle. L’UE et la France se sont engagés à limiter l’augmentation de la température mondiale et les lois climatiques qui en ont découlé fixent des objectifs de neutralité carbone en 2050. Cependant à l’échelle mondiale, les émissions de gaz à effet de serre ont continué de croître. Avec 2% de croissance en 2023, elles dépassent les 40 Gt d’émissions totales. 

Les objectifs de neutralité carbone à atteindre d’ici 25 ans sont inatteignables si l’on se limite uniquement à la baisse d’émissions. Bien qu’elle reste la priorité, la transition vers des émissions nettes négatives nécessite une accélération exponentielle des efforts, et l’élimination du dioxyde de carbone (EDC) devient indispensable. Mais au-delà de la neutralisation des émissions résiduelles; l’EDC jouera un rôle clé dans de nombreux aspects de la transition.

« Le déploiement des technologies d’élimination du dioxyde de carbone (EDC) pour contrebalancer les émissions résiduelles difficiles à réduire est incontournable si nous voulons atteindre les émissions nettes de CO2 ou de GES. » 

GIEC, Sixième Rapport d’évaluation

Les Rôles de l’EDC dans le Net-Zero

Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) insiste sur le fait que la place de l’EDC est nécessaire si nous voulons atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Le rapport de 2018 présente quatre scénarios et explique que « [tous] les scénarios analysés limitant le réchauffement à 1,5°C avec peu ou pas de dépassement utilisent l’EDC pour neutraliser les émissions provenant de sources pour lesquelles aucune mesure d’atténuation n’a été identifiée et, dans la plupart des cas, pour atteindre des émissions nettes négatives afin de ramener le réchauffement à 1,5°C après un pic ». 

Les Défis des Émissions Résiduelles

L’EDC est indispensable pour atteindre la neutralité carbone, qui va au-delà de la simple réduction des émissions. Il s’agit de parvenir à un équilibre où les dernières émissions seront compensées par des absorptions équivalentes pour créer un système durable. Ainsi, les émissions inévitables devront être compensées par d’autres activités, laissant une place cruciale à l’EDC pour équilibrer les émissions résiduelles. Plus nous souhaitons atteindre la neutralité rapidement, plus certains secteurs n’auront pas développé les solutions techniques pour leur décarbonation complètes, augmentant ainsi le besoin en EDC.

Il existe des causes aux émissions résiduelles. Souvent, l’absence de solutions techniques ou économiques rend difficile la décarbonisation complète de certains secteurs. Par exemple, la construction représente aujourd’hui 21% des émissions mondiales et la production d’acier et de ciment n’ont pas de solutions évidentes de décarbonation. L’hydrogène qui pourrait être utilisé dans la cimenterie nécessite des infrastructures encore insuffisantes. En 2050, de nombreux secteurs ne seront pas prêts pour une décarbonisation complète, mais la neutralité est urgente pour éviter un point de non-retour climatique. En 2024, l’International Renewable Energy Agency (IRENA) a établi que les secteurs à émissions résiduelles représentent 20% des émissions actuelles. Le GIEC prévoit qu’en 2050, il restera encore près de 10% des émissions actuelles. L’EDC permettrait de compenser ces émissions résiduelles.

Dépassement Temporaire de 1,5°C et Net-negativité

En plus de ces émissions résiduelles, l’EDC peut limiter les dépassements de réchauffement et continuer à retirer du carbone au-delà de 2050. Si la température mondiale dépasse temporairement 1,5°C, l’EDC sera nécessaire pour réduire la concentration de CO2 atmosphérique et ramener la température mondiale à des niveaux sûrs. 

Pour ce faire, la quantité de CO2 retirée de l’atmosphère devra être supérieure à celle émise, entraînant un stade « d’émissions nettes négatives ». Ce Net-negative permettra de rectifier tout excès historique de CO2 qui contribue toujours au changement climatique et de mitiger ses effets. Plus le dépassement sera important et long, plus la dépendance aux pratiques de d’EDC pour retirer le CO2 de l’atmosphère sera grande. 

Comme l’explique Sir David King, ancien conseiller scientifique en chef du gouvernement britannique: « Le GIEC ne va pas suffisamment loin sur l’EDC. Je crois qu’il est plus que probable que nous atteindrons 1,5°C d’ici la fin de la décennie. C’est une fausse pensée de croire que le GIEC dit que nous pouvons gérer [de rester en dessous de ce niveau] simplement en réduisant les émissions. Le carbone que nous avons déjà émis dans l’atmosphère devra être retiré. » 

L’EDC et les Bénéfices Connexes

Au-delà de l’objectif de neutralité carbone, l’EDC présente des co-bénéfices pour mitiger la crise climatique. Selon le GIEC, « les méthodes d’EDC peuvent apporter divers avantages en fonction du scénario de déploiement, tout en nécessitant une gouvernance appropriée pour minimiser les effets secondaires indésirables ». Par exemple, la restauration des forêts ou des mangroves peut également protéger contre les inondations et les tempêtes. Une méta-analyse sur le biochar explique qu’il améliore la sécurité alimentaire et la durabilité en augmentant la fertilité et la structure du sol, ainsi que la rétention des nutriments et de l’eau. Elle conclut une augmentation de la productivité des plantes (+16%) et du rendement des cultures (+13%). Le biochar réduirait aussi les émissions de gaz à effet de serre (-11%) et l’absorption des métaux lourds par les plantes (-29%).

Les méthodes nouvelles d’EDC, telles que le stockage géologique du carbone, offrent une durabilité de stockage supérieure à celle des méthodes conventionnelles basées sur la terre, verrouillant les retraits de carbone pendant des centaines à des milliers d’années. Par exemple, le biochar et l‘altération forcée des roches peuvent améliorer la santé des sols et les rendements agricoles, réduisant les effets de la sécheresse. L’amélioration de l’alcalinité des océans pourrait protéger les récifs coralliens et les coquillages de l’acidification des océans 

Quantification des Besoins en EDC

Tous les scénarios du GIEC limitant le réchauffement à 1,5°C avec peu ou pas de dépassement projettent l’utilisation de l’EDC à hauteur de 100 à 1000 GtCO2 au cours du 21ème siècle. L’EDC serait utilisée pour compenser les émissions résiduelles et, dans la plupart des cas, pour atteindre des émissions nettes négatives afin de ramener le réchauffement à 1,5°C après un pic.

Selon le rapport annuel The State of CDR publié par le SWP et l’Université d’Oxford, le déploiement de l’EDC sera de 7 à 9 GtCO2 par an en 2050. Les scénarios les plus bas atteignent 4 GtCO2 par an en 2050. Les scénarios les plus durables cumulent 170 GtCO2 entre 2020 et le moment de la neutralité carbone, contre 260 GtCO2 dans tous les scénarios en dessous de 2°C.

Quelles technologies d’EDC dans les scénarios? 

Les scénarios climatiques reposent sur un portefeuille diversifié de technologies d’EDC, intégrant à la fois des solutions basées sur la nature (afforestation, reforestation) et des solutions technologiques (DAC, océan removal, biochar). Cette approche intégrée sera essentielle car aucune technologie unique ne peut à elle seule atteindre ces objectifs. 

Les scénarios ouvrent la voie aux stratégies de portefeuilles. Il nous faudra promouvoir diverses technologies d’EDC et leur déploiement à grande échelle afin de réduire leurs coûts. La forte incertitude concernant l’évolution des prix de ces technologies entraîne des projections de volumes variés, mais avec des potentiels très élevés. 

EDC en France et en Europe

La France et l’Union Européenne commencent à intégrer l’EDC dans leurs objectifs de neutralité carbone. En France, la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC2) prévoit la gestion des émissions résiduelles, estimées à 80 millions de tonnes d’équivalent CO2 (MtCO2) d’ici 2050, réparties entre ~30 MtCO2 d’origine fossile et ~50 MtCO2 d’origine biogénique. Les puits naturels et l’EDC devront compenser environ 70 MtCO2/an pour respecter l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 (voir les projections de CarbonGap, membre de l’AFEN, qui établissent différents scénarios de répartitions).

À l’échelle européenne, l’UE prévoit qu’environ 400 MtCO2 d’émissions résiduelles devront être compensées par l’EDC, englobant des solutions terrestres et industrielles d’ici 2050. 

Dépendance à l’EDC et Creux de Déploiement

Plus nous tardons à réduire les émissions, plus nous devenons dépendants de l’EDC pour atteindre la neutralité carbone et atténuer les effets climatiques. Les académies des sciences européennes (EASAC) soulignent que ces réductions doivent être accompagnées dès maintenant par un développement des capacités d’EDC. Si nous tardons à les mettre en place, ils dépendent de plus en plus de l’EDC pour empêcher d’arriver à des points de non-retour climatiques.

Ce risque de dépendance est aggravé par le « creux de déploiement » observé dans l’EDC. Les scénarios climatiques montrent un écart significatif entre la quantité d’EDC nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris et celle proposée dans les plans nationaux. Selon The State of CDR cet écart pourrait atteindre de 0,9 à 2,8 GtCO2 par an en 2030, et de 0,4 à 5,4 GtCO2 par an en 2050.

L’écart réel est probablement plus grand, car les scénarios climatiques supposent des réductions d’émissions significatives qui ne se concrétisent pas encore, alors que les émissions mondiales continuent d’augmenter. Pour rattraper ce retard, nos objectifs de réduction et d’EDC pourraient augmenter de 1,5 GtCO2 par an d’ici 2050 d’après The State of CDR, demandant un déploiement plus rapide et plus ambitieux de l’EDC. Cependant, il existe des limites à la capacité de l’EDC à compenser des efforts insuffisants pour réduire les émissions, soulignant la nécessité d’une action immédiate et renforcée dans la réduction des émissions parallèlement au déploiement des technologies d’EDC.

Conclusion

Le rôle de l’EDC dans la neutralité carbone est incontournable. Elle permet de compenser les émissions résiduelles inévitables et de dépasser la simple réduction des émissions pour atteindre des émissions nettes négatives. Pour atteindre ces objectifs, l’AFEN a été lancée cette année afin d’aider de combler ce gap d’investissement, notamment en France, dans un secteur central et qui doit être développé impérativement si nous voulons atteindre la neutralité carbone. Cependant, l’EDC ne peut pas remplacer la réduction rapide et significative des émissions de gaz à effet de serre. En outre, des politiques publiques ambitieuses et des cadres réglementaires clairs sont indispensables pour encourager l’adoption des technologies d’EDC à grande échelle. Pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux fixés par l’Accord de Paris, il est essentiel de combiner des réductions d’émissions ambitieuses avec un déploiement immédiat des techniques d’EDC. 

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