Lancé en 2005, le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (EU ETS) constitue le principal outil de régulation des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union. Fonctionnant selon le principe du « cap and trade », il fixe un plafond d’émissions annuelles pour certains secteurs économiques (énergie, industrie lourde, aviation intra-européenne, maritime dès 2024), tout en permettant aux entités couvertes d’acheter ou de vendre des quotas sur le marché en fonction de leurs performances.
Le système a démontré son efficacité, avec une baisse de près de 50 % des émissions dans les secteurs couverts depuis 2005. Sa dernière réforme, adoptée en décembre 2022, renforce encore son ambition avec un objectif de réduction de 62 % des émissions d’ici 2030 par rapport à 1990.
L’EU ETS s’impose aujourd’hui comme le plus grand marché carbone réglementé au monde, avec un volume de 1 386 MtCO₂e échangé en 2024 et une valeur de marché atteignant 781 milliards d’euros, générant 43,6 milliards d’euros de recettes publiques. Ces chiffres en font un levier stratégique majeur, non seulement pour la décarbonation, mais aussi pour le financement de la transition climatique.
Pourquoi l’EU ETS est crucial pour l’élimination du carbone
Alors que l’UE vise la neutralité climatique d’ici 2050, une part résiduelle d’émissions sera difficile voire impossible à réduire, en particulier dans des secteurs comme l’aviation, la chimie ou l’agriculture. C’est là que les technologies d’élimination du carbone (EDC) entrent en jeu, permettant l’élimination permanente du CO₂. Pour leur donner une échelle industrielle, il est indispensable de garantir une valorisation économique stable, pour laquelle un marché réglementé comme l’ETS constitue l’un des mécanismes les plus efficaces, voire indispensables.
L’intégration de l’EDC dans l’EU ETS permettrait ainsi :
- d’accroître la liquidité du marché ETS via l’arrivée de nouvelles unités certifiées ;
- d’assurer un débouché pérenne et une valorisation pour les fournisseurs d’EDC au-delà des marchés volontaires encore incertains.
Elle offrirait également une visibilité long terme au secteur, condition essentielle pour débloquer les investissements nécessaires, dont les coûts restent supérieurs aux prix actuels du quota (~80 €/tCO₂e).
Calendrier et perspectives de réforme
L’intégration des technologies d’élimination du carbone (EDC) dans l’EU ETS se situe à une étape charnière du calendrier réglementaire européen. Depuis l’adoption du Carbon Removal and Carbon Farming (CRCF) fin 2023, la Commission européenne a commencé à mettre en œuvre le cadre d’application, avec l’adoption progressive des actes délégués, dont les premières méthodologies sectorielles pour les éliminations permanentes sont désormais en vigueur ou en cours de finalisation. Le CRCF établit les standards techniques, environnementaux et de traçabilité auxquels devront répondre les activités d’EDC pour être reconnues dans les politiques européennes, notamment l’ETS.
Cependant, l’intégration de ces crédits dans le marché ETS nécessite une révision réglementaire distincte. C’est dans cette perspective que la Commission européenne a lancé en avril 2025 une consultation publique de 12 semaines, clôturée le 8 juillet 2025, dans le cadre de l’évaluation prévue par la directive ETS. Elle vise la collecte d’avis sur une révision en 2026, notamment sur les secteurs couverts, la gouvernance du marché, le traitement des émissions résiduelles, et l’opportunité d’intégrer des crédits certifiés d’élimination du carbone.
Cette période 2025–2026 constitue donc une fenêtre stratégique d’influence pour les acteurs économiques, les États membres et les porteurs de solutions d’élimination. Les arbitrages pris sur la base de cette évaluation détermineront les conditions d’accès au marché carbone réglementé le plus vaste et le plus liquide au monde.
Si un consensus se dessine en faveur d’une intégration stricte et ciblée des éliminations permanentes, une proposition législative pourrait être formulée par la Commission en 2026, ouvrant potentiellement la voie à une introduction effective dans le système ETS à partir de 2031. Cette trajectoire donnerait au marché le temps de construire une offre robuste, standardisée, et contrôlée de crédits conformes au CRCF, tout en permettant aux régulateurs de calibrer les volumes autorisés en fonction des besoins de neutralisation à long terme.
La position de l’AFEN sur la révision de l’EU ETS : bâtir un cadre de valorisation pour l’élimination du carbone
Dans sa réponse à la consultation publique lancée par la Commission européenne, l’AFEN a plaidé pour une réforme ambitieuse du marché carbone européen. Elle y défend une double priorité : garantir l’intégrité du système ETS dans la trajectoire de la neutralité climatique, tout en ouvrant la voie à une intégration rigoureuse des technologies d’élimination du carbone (EDC).
Valoriser les éliminations de carbone permanentes
Au cœur de sa position, l’AFEN soutient une intégration progressive des crédits d’élimination certifiées permanentes, tels que ceux issus du biochar, du BECCS ou du DACCS, entre autres. Ces éliminations, une fois validées dans le cadre du CRCF, répondent à des exigences de permanence et de fiabilité compatibles avec la neutralisation des émissions résiduelles des secteurs ETS.
Cette intégration doit, selon l’AFEN, être strictement encadrée :
- Principe “like-for-like” : seules les émissions fossiles peuvent être neutralisées par des éliminations à long cycle carbone ;
- Exclusion des éliminations temporaires, incompatibles avec la logique d’équivalence climatique ;
- Introduction graduelle, alignée sur la montée en puissance de l’offre certifiée ;
Structurer l’écosystème de l’EDC en parallèle
L’AFEN estime que cette intégration ne pourra être effective que si elle s’accompagne de politiques complémentaires ambitieuses :
- Définition d’objectifs différenciés dans le droit climat européen (réductions, éliminations temporaires, éliminations permanentes) ;
- Soutien ciblé à l’innovation et aux technologies à faible TRL ;
- Déploiement d’incitations aux contrats long-terme entre acteurs du marché, afin de sécuriser les revenus des projets à forte intensité capitalistique ;
- Accès équitable aux infrastructures de transport et stockage de CO₂, clé d’un développement équilibré entre États membres.
Les membres de l’AFEN sont pleinement engagés pour construire une filière française de l’élimination du carbone (EDC) durable, crédible et intégrée aux objectifs de neutralité. Cela suppose des critères stricts de durabilité, de permanence et de transparence, une reconnaissance réglementaire claire, et des mécanismes de valorisation adaptés.
L’AFEN défend une intégration rigoureuse des éliminations permanentes dans l’EU ETS, conçue non comme une alternative aux réductions, mais comme un complément indispensable pour traiter les émissions résiduelles. Cette approche garantit que l’EDC ne devienne pas un alibi, mais un vecteur de décarbonation authentique, ancré dans la science climatique et l’intérêt général.
À suivre : un prochain article analysera en détail les différentes voies d’intégration de l’EDC dans l’ETS, les options de design possibles (réserves dédiées, quotas négatifs, mécanismes hybrides) et leurs avantages respectifs pour structurer une EDC solide et alignée avec les priorités françaises.