L’élimination du Carbone : Impératif et Opportunité pour l’Industrie

Résumé de l’événement

Le 10 juin, un événement AFEN et RMI a réuni des dirigeants industriels, des professionnels de la durabilité, des investisseurs et des décideurs politiques pour approfondir une question cruciale : Comment mettre à l’échelle l’élimination du carbone à travers l’industrie ? La discussion s’est appuyée sur les analyses d’un récent rapport de RMI, « Seizing the Industrial Carbon Removal Opportunity« , offrant une base essentielle pour explorer à la fois les enjeux stratégiques et détailler des exemples concrets d’élimination industrielle du carbone (EDC).

L’événement a débuté en soulignant que l’élimination du carbone à l’échelle de plusieurs gigatonnes est essentielle pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux et traiter la dette carbone d’ici 2050. Un tel déploiement nécessitera d’importantes ressources physiques – des milliards de tonnes de roches, d’énormes volumes d’eau, et des centaines de térawatts d’énergie, en fonction des méthodes d’EDC. L’industrie, en tirant partie de ses flux de déchets existants, de ses infrastructures et de ses actifs sous-utilisés, est particulièrement bien positionnée pour mobiliser son expérience en vue de fournir ces ressources. La présentation de RMI a mis en évidence que les industriels ont tout à gagner de cette intégration, qui peut leur apporter de nouveaux flux de revenus, une réduction des coûts de gestion des déchets, une meilleure conformité réglementaire et un avantage concurrentiel, en plus de leur permettre d’être actifs dans la mitigation du changement climatique.

Par la suite, EDF, première entreprise énergétique française, a partagé son approche stratégique de la décarbonation. Avec 90 MtCO2/an d’émissions à l’heure actuelle, le groupe vise la neutralité carbone à l’horizon 2050. EDF a souligné le défi critique de définir le mix optimal entre réductions d’émissions et capture et élimination du carbone. Leur perspective a mis en lumière l’interaction nécessaire entre stratégie d’entreprise, objectifs climatiques et limites planétaires plus larges (par exemple, le cycle de l’eau). EDF considère que l’EDC peut également aller au-delà du simple fait de générer des émissions négatives, en apportant des bénéfices supplémentaires et en évitant de nouveaux risques (notamment au niveau de l’adaptation au changement climatique). Le groupe a rappelé que sa capacité significative de R&D et son approvisionnement énergétique majoritairement décarboné seront descomme facteurs clés permettant de mettre à l’échelle des technologies comme la capture directe dans l’air (DACCS).

Par la suite, une table ronde modérée par Caroline Thaler (Bloomineral) faisait dialoguer Jean-Luc Reboul (ArcelorMittal, producteur d’acier) et Malik Kerkar (Carbon Projects Director chez Suez, traitement de déchets). Les participants ont apporté leur éclairage sur l’intérêt qu’ils portent et les actions qu’ils mènent pour intégrer l’EDC à leur industrie :

  • Bioénergie avec capture et stockage de carbone (BECCS) : ArcelorMittal a détaillé son intérêt pour l’intégration de la bioénergie dans la sidérurgie, avec notamment l’utilisation de plantations de biomasse et la torréfaction de déchets de bois pour substituer le gaz naturel. Suez a souligné l’importance stratégique de l’incinération pour générer de l’énergie renouvelable à partir de sources fossiles et biogéniques, mettant l’accent sur un grand projet de capture au Royaume-Uni (900 ktCO2/an) intégré à un cluster industriel, tout en notant les coûts logistiques élevés pour les sources de CO2 biogénique dispersées en France.
  • Valorisation des déchets alcalins : ArcelorMittal a mis en évidence le potentiel de capture de carbone des laitiers d’acier, et surtout l’immense potentiel que représentent les déchets miniers (malgré des technologies moins matures). Suez, qui gère de nombreux déchets de démolition, s’est concentré sur le potentiel de carbonatation minérale des déchets de construction/démolition utilisant du CO2 biogénique. Les principaux défis incluent la viabilité économique pour les granulats de faible valeur et la décision stratégique de devenir carbonateur versus fournisseur de CO2 biogénique.
  • Biochar : ArcelorMittal a discuté du potentiel du biochar pour substituer le carbone fossile dans la sidérurgie. Les enjeux autour de la biomasse sont nombreux, tant au niveau des limites techniques (comme la teneur en cendres dans les déchets végétaux) qu’en termes d’utilisation de ressources (il faut veiller à préserver les usages “nobles” de la biomasse). Suez, bien que n’achetant pas encore de crédits carbone mais qui développe des projets biochar, a exprimé une forte conviction dans le biochar issu de biomasse résiduelle (par exemple, résidus de scierie), soulignant sa double utilisation pour la séquestration et la défossilisation industrielle. Des modèles hybrides combinant valorisation et puits de carbone ont été envisagés, avec l’ambition d’atteindre 1 Mt d’ici 2035, portés par des revenus complémentaires au-delà des seuls crédits carbone.

La table ronde et les questions-réponses qui ont suivi ont également abordé des défis et opportunités transversaux critiques :

  • Besoin d’investissement et profondeur du marché : Les importants investissements dans les projets d’EDC nécessitent des accords d’achat à long terme dans un marché naissant. Le rôle du financement public et des incitations ainsi que des ventes significatives d’EDC est crucial pour dé-risquer les projets, car le marché n’est pas encore profond, soulignant l’avantage du « premier entrant » pour des acheteurs comme Microsoft et Google.
  • Politique et certification : Les complexités entourant la certification internationale de projets (par exemple, normes UK/Canada vs UE) et l’interaction entre les objectifs climatiques de l’UE (comme l’ETS) et les nouveaux mécanismes de marché ont été discutées. Bien qu’il y ait des progrès significatifs du côté européen, plus d’engagement est nécessaire aux niveaux régional et national.
  • Optimisation des ressources : L’importance de se concentrer sur la biomasse résiduelle et d’optimiser l’utilisation des ressources pour éviter la concurrence avec d’autres industries a été soulignée. C’est là que des décennies d’expérience du secteur industriel peuvent aider à progresser plus rapidement.
  • Opportunité de développement interne : La discussion a souligné que, sur les prochaines années/décennies, l’augmentation des coûts du carbone d’une part et la pénurie d’offre de compensation durables d’autre part rendra indispensable pour les gros émetteurs de développer leurs propres programmes d’EDC en interne, ou d’intégrer rapidement ces procédés dans leurs chaînes de valeur. Une telle intégration permettra de contrôler les coûts et de sécuriser l’accès à l’EDC, réduisant la dépendance aux tiers : une implication précoce et des échanges avec les innovateurs sont des élements critiques.
  • L’impératif climatique : Le consensus général est d’intégrer l’EDC en tant que solution climatique nécessaire et fondamentalement dépendante du secteur industriel, présentant une chance unique pour celui-ci de diriger et faire une différence transformatrice.

Conclusion :

L’événement a clairement souligné un consensus : mettre à l’échelle l’élimination du carbone pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux est inextricablement lié aux différents secteurs industriels. De la fourniture de ressources et d’infrastructures essentielles à la valorisation des déchets, en passant par  le leadership dans la réduction des risques technologiques, l’industrie apparaît comme un partenaire indispensable pour l’EDC. Inversement, l’EDC représente une opportunité unique pour ces acteurs de soutenir le progrès climatique tout en élargissant les possibilités d’innovation, de business et d’optimisation des procédés.

Bien que les défis d’investissement, d’harmonisation politique et d’intégration technique persistent, les enjeux commerciaux et l’impératif climatique  devront aller de pair pour les industriels. Une collaboration continue entre l’industrie, les politiques et la finance est essentielle pour débloquer cette vaste opportunité et accélérer les efforts de décarbonation mondiaux.

RMI est une organisation indépendante non gouvernementale, fondée en 1982 sous le nom de Rocky Mountain Institute, qui transforme les systèmes énergétiques mondiaux grâce à des solutions axées sur le marché pour s’aligner sur un avenir à 1,5°C et garantir un avenir propre, prospère et neutre en carbone pour tous. Nous travaillons dans les zones géographiques les plus stratégiques du monde et travaillons avec les entreprises, les décideurs politiques, les communautés et les organisations non gouvernementales pour identifier et généraliser les interventions sur le système énergétique qui réduiront les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 50 % d’ici 2030. RMI a des bureaux à Basalt et Boulder, Colorado ; New York; Oakland, Californie; Washington DC.; et Pékin. RMI a contribué à la compilation de la base de données sur les besoins en ressources des méthodes d’EDC et à l’analyse pour l’allocation des ressources disponibles.

Actualités connexes

Élimination du carbone, CSC et CCU : Explication des différences fondamentales entre ces trois approches de gestion du carbone

Le rôle de l’Élimination du Dioxyde de Carbone dans la neutralité carbone : Comment l’EDC s’intègre-t-elle dans les stratégies pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux?

AFEN – Perspectives 2025