Rencontres 2025 de l’Élimination du Carbone : une filière française qui s’installe et monte en puissance

Plus de 200 acteurs publics, privés et scientifiques se sont réunis à Paris les 14 et 15 octobre 2025 pour la deuxième édition des Rencontres de l’Elimination du Carbone (EDC), organisées par l’AFEN.

« L’élimination du carbone, c’est la brique indispensable d’un net zéro crédible, en complément d’une réduction rapide et massive des émissions. » Julie Gosalvez, Présidente de l’AFEN

Deux jours d’échanges et de cas concrets : la France dispose d’atouts réels pour transformer l’EDC en filière industrielle, avec des opportunités économiques tangibles. En France, 130 000 emplois pourraient être créés d’ici 2050 grâce au développement du marché européen de l’EDC, qui pourrait atteindre 220 Md€ par an (BCG, AFEN).

Pour transformer le potentiel en réalité industrielle, il reste à bâtir les infrastructures, les cadres et la confiance nécessaires.

Julie Gosalvez, Présidente de l’AFEN, ouvre les Rencontres de l’EDC 2025

Un contexte exigeant, mais des signaux positifs

Malgré un contexte international marqué par un recul du soutien politique aux États-Unis et un certain scepticisme en France, les signaux réglementaires et industriels s’accélèrent. Le Carbon Removal Certification Framework (CRCF) a été adopté par le Parlement européen en 2024, et une réflexion est engagée sur l’intégration progressive de l’élimination du carbone dans le Système d’échange de quotas européen (EU ETS).En Europe, les pays nordiques et l’Allemagne montrent la voie :

  • Suède: SEK 36 Md (~3 Md€) approuvés par la Commission pour des enchères BECCS ; premier lauréat, Stockholm Exergi, > SEK 20 Md de soutien sur 15 ans.
  • Danemark: fonds CCS de 28,3 Md DKK (consultation 2024) piloté par l’Agence de l’énergie danoise.
  • Allemagne:  programme industriel ~6 Md€ incluant CCS ; budget CDR 100 M€ dès 2026, stratégie nationale en validation.
  • Norvège: projet Northern Lights, infrastructure complète de transport et stockage offshore (~1,5 Mt CO₂/an phase 1, jusqu’à 5 Mt en 2028).
  • Islande : DACS et minéralisation avec Climeworks et Carbfix, alimentés par une énergie 100 % décarbonée
  • Royaume-Uni:  Intégration des technologies d’Élimination des Gaz à Effet de Serre (GGR) à son propre système d’échange de quotas d’émission (UK ETS). La législation est attendue d’ici fin 2028, pour une mise en œuvre opérationnelle en 2029.

En France, des projets concrets et une stratégie à structurer

L’écosystème français de l’élimination du carbone s’ancre dans le réel. Bloomineral transforme le CO₂ en roche grâce à la biominéralisation. Yama développe le premier pilote français de capture directe dans l’air (DAC). NetZero industrialise la production de biochar. ClimeFi structure des transactions carbone internationales entre États opérationalisant l’article 6 de l’accord de Paris. Ces exemples illustrent un écosystème français en croissance, à la croisée de la science, de l’industrie et des territoires.

Un signal clair de l’État, sous forme d’une stratégie bas-carbone intégrant l’EDC,  est désormais attendu pour assurer visibilité, cohérence et continuité.

Six enseignements clés des Rencontres 2025

1. La réduction des émissions reste prioritaire, et l’élimination est indispensable

Le consensus scientifique est clair : atteindre le net zéro exige à la fois de réduire les émissions rapidement et drastiquement et d’éliminer durablement le carbone déjà présent dans l’atmosphère.

Les scientifiques invités par l’AFEN , Pierre Friedlingstein (CNRS, University of Exeter) et Jean Pierre Gattuso (CNRS), ont rappelé les faits essentiels:

  • Le budget carbone compatible avec 1,5 °C est estimé à 265 gigatonnes (soit six ans d’émissions actuelles – et environ 25 ans pour une trajectoire à 2 °C).
  • La baisse de près de 2 gigatonnes de CO₂ liée au COVID-19 n’a eu aucun effet mesurable sur la concentration atmosphérique – un rappel brutal de l’échelle du défi.
  • Selon le GIEC, il faudra retirer près de 10 gigatonnes de CO₂ par an d’ici 2050 pour atteindre un net zéro crédible.

« Si on arrêtait aujourd’hui toutes les émissions, le climat se stabiliserait. Mais comme ce n’est pas le cas, il faut agir sur les deux leviers à la fois : réduire et éliminer. » — Pierre Friedlingstein, Université d’Exeter et CNRS

2. Financer l’innovation – du laboratoire au terrain

Les financements européens se concentrent encore quasi exclusivement sur la décarbonation des procédés existants.

Le rapport Draghi évalue à 800 milliards d’euros l’investissement nécessaire dans les cleantechs européennes et identifie des enjeux structurels : compétitivité énergétique, souveraineté technologique, démographie.

« Pour un euro investi dans l’innovation, douze le sont dans l’amélioration de l’existant. La France ne manque pas d’argent, le niveau d’épargne est très élevé, mais il faut flécher cette épargne, dérisquer les projets industriels de rupture et stimuler la demande. » Célia Agostini , Cleantech for France

Les financements dédiés à l’EDC restent marginaux, en particulier pour les solutions émergentes comme la capture océanique (mCDR) ou l’alcalinisation (OAE). L’Union européenne a alloué environ 657 millions d’euros pour soutenir directement les méthodes d’élimination du carbone à travers des programmes existants tels qu’Horizon Europe (y compris le Conseil européen de l’innovation – EIC), le programme LIFE ou le Fonds d’innovation. Ce montant ne représente qu’environ 0,1 % du budget total prévu de l’action climatique de l’UE pour 2021-2027. (Source: Carbon Gap)

La quasi-totalité des soutiens publics cible encore le CCUS industriel. Un signal clair de l’État, à travers des lignes budgétaires dédiées et stables, serait déterminant pour accélérer le passage de la recherche à l’industrie.

Au-delà du marché volontaire, la création d’une demande structurelle – via des mandats publics ou des quotas carbone – sera essentielle pour garantir la visibilité des investisseurs.

Carbon Gap plaide pour un financement protégé de 2,6 milliards d’euros sur la prochaine période et recense déjà les projets EDC européens.

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3. Des infrastructures à construire

Le stockage géologique est un maillon clé du futur de l’EDC. Les travaux du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) estiment que la France dispose d’un potentiel de ~4,8 gigatonnes de stockage (BRGM, EVASTOCO2). Le développement de chaînes logistiques pour la biomasse, l’énergie bas-carbone et le transport du CO₂ constitueront un pilier central du déploiement de ces capacités de stockage.

Si le stockage offshore présente des avantages en termes de facilité de mise en œuvre, le stockage onshore peut générer une valeur locale significative pour les territoires, industries et agriculteurs.

« Le CO₂ biogénique issu des territoires peut créer de la valeur locale et renforcer la résilience industrielle. » — Mallorie Navarre, Téréga

Pour concrétiser ces projets, l’association des communautés locales est essentielle. Le Danemark illustre cette approche : l’Agence danoise de l’énergie a systématiquement mené des dialogues avec les municipalités et résidents avant d’attribuer ses premières licences d’exploration onshore en juin 2024, et organise des consultations publiques dès les phases d’évaluation environnementale. Cette démarche proactive d’engagement territorial a permis au pays d’avancer rapidement tout en maintenant l’acceptabilité sociale.

« L’acceptation de l’EDC par les populations sera un point critique. La stratégie nationale bas carbone, attendue dans les prochains mois, marquera une étape importante en France : pour la première fois, elle fera référence au rôle des émissions négatives. » Frédéric Branger, Direction Générale de l’Énergie et du Climat

4. La confiance, condition du passage à l’échelle

La crédibilité du marché du carbone reste fragile, mais les cadres de référence se structurent. Face à la nécessité de haute intégrité des crédits carbone, plusieurs initiatives de standardisation émergent pour renforcer la transparence et la crédibilité du marché volontaire, depuis le label qualité pour les crédits carbone de l’ICVCM (Integrity Council for the Voluntary Carbon Market), le scoring du CCQI (Carbon Credit Quality Initiative), lancé en mai 2022 et le renforcement du cadre SBTi (Science Based Targets initiative) concernant les crédits d’EDC.

Ensemble, ces briques réduisent le risque d’intégrité pour les acheteurs.

Les entreprises présentes aux sessions – EDF, Engie, Schneider Electric, Stripe, ClimeFi – appellent à un dialogue plus transparent et à des critères communs pour garantir la qualité des crédits et éviter l’écueil du greenwashing.

Le rapport du BCG et de Patch , “Guidelines for setting a net zero-aligned internal carbon price”,  explique comment le prix interne du carbone peut devenir un levier clé de crédibilité. En donnant une valeur financière au CO₂ émis, il transforme les engagements climatiques en décisions d’investissement concrètes.

Comme le rappellent Lizzy Coad (BCG) et Ben Field (Patch), cet outil aide les entreprises à «passer d’une logique de compensation à une logique d’action ». Certaines, comme Schneider Electric, réinvestissent déjà ces budgets internes dans des projets concrets  d’EDC via l’achat de crédits.

« Les objectifs de 2030 approchent très vite. Il faut sécuriser dès maintenant des volumes d’élimination crédibles, en s’appuyant sur des standards robustes. » Léo Barruol, Schneider Electric

5. Une dynamique européenne en marche, un ancrage territorial indispensable

L’Allemagne, la Finlande et la Suède déploient déjà leurs stratégies nationales d’EDC, combinant biochar, BECCS et capture biogénique.

La France, elle, prépare sa première stratégie bas carbone intégrant les émissions négatives, soutenue par la BPI France et un tissu industriel solide – Pronoe, lauréate du concours i-Lab France 2030 pour ses travaux sur l’alcalinisation océanique, en est un exemple.

Cette dynamique trouve un écho politique : au Sénat, Vanina Paoli-Gagin, membre de la commission des finances, plaide pour une approche territoriale de la décarbonation.

« Plus on aura une économie décarbonée, plus on aura une économie à haute valeur ajoutée. » Vanina Paoli-Gagin, Sénat

La sénatrice a donné plusieurs exemples de projets concrets qui incarnent cette approche dans le Grand Est :

  • le pôle B4C qui accompagne les coopératives agricoles dans la transition bas carbone ;
  • un démonstrateur d’EDC capturant le CO₂ biogénique de la filière bois-paille, valorisé dans le béton avec Carborok ;
  • le cluster Biogaz Vallée, pionnier de la biométhanisation;
  • Woodoo, deeptech troyenne du bois bas carbone, a signé en 2025 un contrat de 32 M€ avec Bouygues Construction pour 10 000 m³ de matériaux, équivalents à 20 000 m³ de béton armé.

« La France a tous les atouts pour réussir – une culture scientifique, un tissu industriel dense et des territoires moteurs. Il faut maintenant une trajectoire lisible et partagée. » Karima Benelhadj, Bpifrance

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Plus de 200 acteurs du secteur se sont rassembles dans les locaux du BCG a Paris

6. Un écosystème en pleine montée en puissance

25 % des entreprises du CAC 40 étaient représentées aux Rencontres de l’EDC, aux côtés de nombreuses PME et acteurs régionaux. Preuve que l’EDC n’est plus un concept, mais une dynamique économique et scientifique en structuration rapide.

« Ce qui m’a le plus marquée, c’est la diversité et la force de l’écosystème : scientifiques, innovateurs, grands groupes et PME unis par une même ambition. L’EDC devient une opportunité économique et climatique pour la France. » Julie Gosalvez, AFEN

Cette diversité fait la force du mouvement, dont l’objectif est d’accélérer le déploiement de l’élimination du carbone en France et en Europe.

« L’AFEN, c’est une coalition d’acteurs engagés pour structurer la filière, inscrire les politiques publiques dans le temps long et valoriser ceux qui font avancer concrètement l’action climatique. » Karim Rahmani, AFEN

Parmi cette coalition d’acteurs, les investisseurs étaient présents. AFEN a eu le plaisir d’accueillir l’étape française de Invest In CDR, en partenariat avec la Negative Emissions Platform et avec la participation de France Invest. Des présentations de start up innovantes, des acteurs financiers engagés et des conversations détaillées sur les opportunités de l’EDC ont animé une communauté de plus de 100 participants.

En conclusion

Comme l’ont indiqué les scientifiques invités aux Rencontres de l’EDC par l’AFEN, l’heure n’est plus à débattre de la nécessité de l’élimination du carbone, mais à concrétiser son déploiement.

Dans un contexte complexe, le momentum est réel.  En France, de nouveaux acteurs s’impliquent dans le secteur, de nouveaux acheteurs aussi, comme Schneider Electric.  L’écosystème français se mobilise avec une énergie collective tangible, illustrée par les Rencontres 2025.

La présidente de l’AFEN, Julie Gosalvez, a conclu les rencontres de l’EDC en définissant la formule gagnante pour le secteur: Un écosystème collaboratif +  des politiques publiques stables et lisibles qui libèrent l’investissement privé + des projets démonstrateurs concrets.

Le défi climatique s’apparente à une course de relais mondiale. Beaucoup de coureurs ont déjà pris le départ : énergies renouvelables, efficacité, électrification, solutions naturelles

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L’équipe EDC s’élance à son tour.  Le bâton que se passent les acteurs de la filière, c’est l’élan, la confiance et l’opportunité d’agir.  En gardant toujours à l’esprit les enjeux fondamentaux de cette course, qui n’est pas un sprint, mais bien un marathon intergénérationnel.

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